OTE D'IVOIRE, 10.12.2002
Massacre de Monoko-Zohi
"Ils cherchaient les étrangers et de l'argent. Notre patron a été égorgé parce qu'il ne voulait pas payer. J'ai voulu ramasser son corps, mais les tirs ont repris", raconte un jeune homme. "Ensuite, certains ont pillé les bières et ont commencé à boire en disant qu'ils fêtaient la mort des étrangers", ajoute-t-il. Un article de Alexandre Jacquens ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 10.12.02
« Mes deux petits frères sont morts. Pour le deuil, on n'a ni l'argent ni le temps. La guerre nous a surpris », dit Bari Ousmane, commerçant guinéen de 32 ans, installé à Monoko-Zohi depuis 1993.
Les autres habitants restés au village, des étrangers en grande majorité, acquiescent, l'air perdu, traumatisés. Ils racontent comment, pendant une journée, le 29 novembre, leur village, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire, est devenu le théâtre de massacres qu'ils imputent aux soldats restés fidèles au régime du président ivoirien Laurent Gbagbo. Selon eux, environ 120 hommes ont été tués, tous des étrangers.
Le village est désert ; les boutiques ont été pillées, des maisons brûlées. A la sortie sud de Monoko-Zohi, les villageois désignent deux tumulus de terre rouge fraîchement retournée, au bord d'un chemin traversant un sous-bois. Les corps gonflés affleurent sous la fine couche de latérite et l'odeur de cadavre en décomposition prend à la gorge. Un morceau de pagne, qui a servi à envelopper les corps, une sandalette ou des bouts de plastique bleu sont dispersés autour des tas circulaires, l'un d'environ cinq mètres de diamètre, l'autre un peu plus petit.
Les villageois indiquent aussi cinq puits dans lesquels des corps ont été jetés à la va-vite. Au fond de l'un d'eux, une forme ballonnée et blanchâtre, qui n'a plus rien d'un homme, sauf la tête sortant de l'eau. Un autre puits est bouché par un matelas : « Vingt-cinq personnes, dont mon petit frère, ont été jetées dans ce puits. Moi je l'ai vu », affirme Arouna Ouedraogo, ajoutant que "les personnes étaient ligotées et ils leur avaient tiré dessus à la « kalach », avant. J'ai fui".
DÉCLARATIONS CONCORDANTES
Dans la foule des hommes revenus pour quelques heures au village, leur famille restant cachée en brousse, on veut témoigner auprès des journalistes accompagnés sur les lieux par les rebelles du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI). On insiste sur « la tenue vert olive des hommes de Gbagbo, arrivés le 28 novembre avec huit camions et un char ». Le 28 novembre, l'armée française, chargée de surveiller le cessez-le-feu, conclu le 17 octobre entre le MPCI et le gouvernement, avait en effet signalé une offensive loyaliste sur Vavoua, à 60 km au nord-est de Monoko-Zohi. Les villageois rappellent que les soldats gouvernementaux étaient accompagnés "de jeunes Baoulés du village, dont le fils du chef, qui avaient des listes et désignaient les maisons où il fallait tuer des étrangers".
"Ils cherchaient les étrangers et de l'argent. Notre patron a été égorgé parce qu'il ne voulait pas payer. J'ai voulu ramasser son corps, mais les tirs ont repris", raconte un jeune homme. "Ensuite, certains ont pillé les bières et ont commencé à boire en disant qu'ils fêtaient la mort des étrangers", ajoute-t-il.
Peu de témoins directs, mais les déclarations des uns et des autres concordent : « Les loyalistes ont vu qu'il y avait beaucoup de corps dans les rues, donc ils ont pris des jeunes et leur ont dit de creuser pour mettre les corps dans un grand trou », explique Kamoussi Bangola, 31 ans. Saïdou Laru, 32 ans, est un survivant : « Un soldat en tenue avec un casque est arrivé devant mes deux camarades et moi et, en disant : Qu'est-ce que vous faites là ? », il a commencé à tirer sur nous. J'ai vu mon ami tomber, je me suis enfui dans les herbes." Selon le chef des Burkinabés de Monoko-Zohi, Boureïma Ouédraogo, « seuls les hommes et les étrangers étaient visés ». Si les autres habitants présents au village confirment cette estimation, aucune liste des victimes n'a cependant été dressée.
Monoko-Zohi a été reprise aux forces loyalistes le 30 novembre par les mutins du MPCI. Le 5 décembre, un communiqué de l'armée française, qui surveille le respect du cessez-le-feu, a révélé la présence de ce charnier.
Un article du journal LE MONDE
Alexandre Jacquens (le Monde)
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