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UINEE, 10.01.2003


Monsieur Sidya Touré:« Le temps est compté pour le pays » ( Dans une Interview accordée à JEUNE AFRIQUE L'INTELLIGENT

Sidya Touré, leader de l’Union des forces républicaines (UFR, un des principaux partis d’opposition de Guinée), est devenu, au cours de ces dernières années, l’un des hommes politiques les plus en vue dans son pays. Premier ministre de Lansana Conté de 1996 à 1999, il a basculé dans l’opposition en 2000 « pour, dit-il, contribuer à stopper les déviations de plus en plus graves du pouvoir actuel ». Il est membre fondateur du Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad), le nouveau pôle d’action créé par l’opposition à la veille des législatives du 30 juin dernier boycottées par la plupart des partis. De passage à Paris, dans un contexte de vives controverses au sein de l’opposition, et entre celle-ci et le pouvoir de Lansana Conté, il a répondu aux questions de J.A.I.



Jeune Afrique/l’intelligent : Que pensez-vous de la dégradation de l’état de santé du président Conté qui a entraîné son transfert dans un hôpital au Maroc ?


SIDYA TOURÉ : On ressent de la peine pour quelqu’un qui souffre. À ce titre, je compatis sincèrement. Il s’agit, néanmoins, du président de la République, de surcroît dans un pays où les autres institutions en dehors de lui ne jouent aucun rôle dans le fonctionnement de l’État. Il est le seul détenteur de tout le pouvoir. Sa maladie et son absence paralysent le pays et posent d’autant plus de problèmes que celui-ci va mal dans tous les domaines. Le vide nous soumet à des risques de toutes sortes dans un environnement sous-régional perturbé par une instabilité qui dure depuis plus de dix ans.

Jeune Afrique/l’intelligent : Pourquoi le Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad) ? Ne s’agit-il pas d’une des combinaisons de l’opposition guinéenne qui n’ont, jusqu’ici, pas donné de résultats probants ?


SIDYA TOURÉ :Le Frad a été créé le 21 mai dernier par les principaux partis de l’opposition guinéenne. Il constitue une réponse au référendum constitutionnel de novembre 2001 qui a institué la présidence à vie, et aux élections législatives bâclées de juin dernier, boycottées par toutes les formations significatives du pays. Le Frad traduit également un changement de stratégie. Contrairement à la dispersion de par le passé, nous avons décidé de regrouper toutes les forces pour assurer l’alternance. Comme premier acte de cette dynamique, 400 délégués venus de toute la Guinée ont pris part, les 28 et 29 septembre, à Conakry, à une convention nationale à l’issue de laquelle les structures du Frad ont été mises en place dans l’ensemble du pays.


Jeune Afrique/l’intelligent :Cette dynamique unitaire ira-t-elle jusqu’à la présentation d’un seul candidat de l’opposition contre Lansana Conté, en décembre 2003 ?

SIDYA TOURÉ : Je pense que, d’un point de vue stratégique, il est préférable que nous nous consacrions à ce qui nous unit : la recherche de conditions transparentes pour la présidentielle de 2003. La désignation des candidats pour un tel scrutin interviendra le plus tard possible. D’ailleurs, il appartiendra à nos bases, le moment venu, de se prononcer sur cette question.

Jeune Afrique/l’intelligent :Siradiou Diallo, leader de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR), affirme dans J.A.I. n° 2184 être victime d’une sorte d’exclusion de la part des autres leaders de l’opposition…

SIDYA TOURÉ :Je ne souhaite en aucune façon participer à ce qui semble être une querelle de personnes au niveau de ceux que j’appellerais les opposants « historiques » en Guinée. Ce sont tous des amis de longue date, et Siradiou plus que tout autre. Je me dois néanmoins, en dehors de toute polémique, de dire une fois pour toutes qu’à la suite de la réunion de Paris du 11 août 2001 je suis personnellement allé le 15 août présenter, en compagnie de Mamadou Bâ, le projet Alternative 2003 à Siradiou Diallo, à son domicile parisien. Après discussion, il a approuvé l’intégralité du texte, qui n’a subi aucune modification par la suite. Parler après cela de conspiration ne me semble pas conforme au déroulement des faits.

Jeune Afrique/l’intelligent :Comment voyez-vous l’échéance de décembre 2003 ?

SIDYA TOURÉ Elle représente un enjeu important pour la Guinée. Ce sera l’occasion, quarante-cinq ans après l’indépendance, de doter notre pays d’un nouveau leadership capable d’apporter des réponses aux problèmes de l’emploi, de la santé, de l’éducation, en un mot de la pauvreté. En vue de cette échéance, l’opposition souhaite l’application de la Constitution consensuelle de 1991 aux termes de laquelle Lansana Conté ne peut pas demeurer au pouvoir au-delà de décembre 2003, date d’expiration de son deuxième mandat (arrivé au pouvoir avec le coup d’État du 3 avril 1984, il ne s’est soumis à une élection qu’en 1993). La volonté de l’y maintenir par un forcing est un mauvais calcul des membres de son entourage plus préoccupés par la sauvegarde de leur rente de situation que par les risques de perturbations qu’encourt notre pays.

Je suis d’autant mieux placé pour dire cela que le président Conté reste un frère et, à ce titre, je lui souhaite sincèrement une sortie honorable après trente ans de vie militaire et vingt ans de présidence.

Jeune Afrique/l’intelligent Quelles solutions concrètes proposez-vous à vos concitoyens ?

SIDYA TOURÉ Le temps est compté pour la Guinée. Quarante-deux ans la séparent de ce que les autres pays de l’Afrique de l’Ouest ont pu accomplir comme progrès. Il faudra donc une équipe expérimentée qui ne perdra pas de temps en tâtonnements inutiles. L’UFR a un programme élaboré en 1996, qui sert toujours de document de base au gouvernement actuel. C’est « Guinée, vision 2010 ». Il est seulement mal appliqué. Notre objectif serait d’accélérer l’exploitation de l’important potentiel du pays (mines, hydroélectricité, agriculture…) pour obtenir un taux de croissance élevé.

Mais il ne faut pas se leurrer : ce ne sera pas facile de relever ce pays. Non seulement les fondamentaux de l’économie sont au plus mal, mais tous les secteurs qui pourraient faire démarrer rapidement la croissance ont été saccagés ou bradés. C’est le cas des entreprises comme Friguia, Soguipah, SBK, Sogel, etc. Il nous faudra aller vite pour mettre de l’ordre dans tout cela. Sans oublier l’indispensable besoin de réconciliation de tous les Guinéens face à de tels enjeux. Je ne doute pas qu’au-delà des clivages régionaux que ne cessent de prôner certains leaders, les Guinéens, le moment venu, apporteront leur appui à une équipe capable de faire face rapidement aux défis nombreux qui nous interpellent.

Samir Gharbi et Cheikh Yérim Seck

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