FRIQUE, 03.02.2003
L’IVOIRITE OU LES TRAGEDIES D’UNE FATALE AMNESIE *Chronique d’une mort annoncée*analyse de Sidiki Keita
En cette période où sa classe politique joue l’avenir de la Côte d’Ivoire au poker, il me revient une métaphore de l’ancien président guinéen Sékou TOURE, qui disait que tous les peuples disposent, dans leur existence, de trois sacs, à savoir, le sac de piment, de sel et de sucre dont ils vivent selon leur intelligence.
Selon lui, la Côte d’Ivoire a commencé d’emblée par son sac de sucre, et ne disposerait pour l’avenir que du sac de sel, que suivra celui du piment, alors que la Guinée aurait, à l’inverse, commencé par le sac de piment, l’avenir lui réservant de disposer de son sac de sel, puis de sucre.
Nous en souriions alors, mettant ces propos sur le compte de la jalousie d’un homme qui, ayant échoué à faire le bonheur de son peuple, vouait celui des autres aux gémonies.
Mais aujourd’hui hélas, force nous est de reconnaître que ce furent des paroles prophétiques, au grand dam de tous ceux qui aiment la Côte d’Ivoire ou espèrent en un meilleur devenir pour l’Afrique.
La Côte d’Ivoire de ces espérances là est défunte, tuée par le poison instillé par l’ivoirité, que l’aveuglement et le goût immodéré d’un pouvoir que d’aucuns voulaient s’arroger à tout prix, quitte à fracturer le pays entre nord et sud, entre musulmans et chrétiens, en utilisant les démons de la division, de la haine et de l’exclusion.
Laurent GBAGBO, qui exploite aujourd’hui à fond le capital de haine et de bêtise que lui a laissé Henri KONAN BEDIE aurait tort d’oublier le tribut que doit « son » pays aux « nordistes ivoiriens» et à l’ensemble de la sous-région, notamment au Burkina-Faso.
Se souvient-il qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, conscient du potentiel agraire de son pays, Félix HOUPHOUET-BOIGNY, alors président du syndicat agricole de Côte d’Ivoire, se rendit en négociations auprès du chef traditionnel des Mossis, le MORHO NABA, afin qu’il l’assistas dans la mobilisation de bras valides pour permettre l’accroissement des revenus des planteurs ivoiriens.
Le NABA, accédant à la requête du leader syndical de l’époque, déclencha la mobilisation générale de ses sujets qu’il déversa par camionnées entières dans la boucle du cacao.
La tradition de l’immigration des burkinabés - on disait alors « voltaïques » - en Côte d’Ivoire était née.
Ce flux immigratoire féconda la Côte d’Ivoire, créant les ressources dont la judicieuse exploitation, associée à la volonté Gaullienne d’en faire une vitrine pour, entre autres, narguer la rebelle Guinée, enfanta du miracle ivoirien qui n’est plus qu’un souvenir.
Il faut rappeler ici que l’embellie que connu alors la traite du café et du cacao en Côte d’Ivoire créa aussi les conditions de l’émergence et de l’expression de la conscience politique, transcrite dans le combat anti-colonial du RDA, mouvement libérateur majeur de l’Afrique sub-saharienne.
Cette Côte d’Ivoire dont certains se réservent aujourd’hui le bénéfice exclusif par la seule vertu de leurs origines non nordistes, est née sous les auspices du patriarche de Korhogo, GON COULIBALY, auquel HOUPHOUET-BOIGNY s’était confié, et qui fut le seul chef traditionnel à le soutenir et à le protéger, quand tous les autres coopéraient avec l’administration coloniale pour le traquer et même, le liquider.
S’il existe aujourd’hui une patrie ivoirienne et des patriotes pour s’en targuer, ils le doivent aux sacrifices et à l’engagement des populations du nord de la Côte d’Ivoire, adossées aux MOSSIS du Burkina Faso, et solidaires en destin, constituant les poutres principales de l’œuvre – « sur pilotis » - d’HOUPHOUET-BOIGNY.
Ce sont ces deux piliers de soutènement que le concept eugéniste de l’ivoirité a pulvérisé, chavirant la fragile construction à laquelle le « sage de Yamoussokro » consacra sa vie.
On l’aura compris, l’ivoirité, sous cet éclairage de notre Histoire, c’était la mort programmée de la Côte d’Ivoire.
Ce crime, dont KONAN BEDIE assumera la responsabilité face à l’Histoire, n’a subi aucune dénonciation sérieuse et tangible de ceux qui, en tout premier lieu, devaient le réprouver et le combattre, à savoir, les cadres du PDCI et les anciens compagnons de lutte d’HOUHOUET-BOIGNY.
Leur démission a créé les conditions de l’instabilité et de la dérive morale, sociale et politique d’un pays jusque là envié de tous.
Qui peut donc aujourd’hui reprocher à Laurent GBAGBO de s’être introduit par effraction dans les consciences amnésiques de certains ivoiriens, qui, à défaut de pouvoir exister dans le miracle ivoirien dont BEDIE avait fait mirage, s’étaient donné un projet de société très simple, sinon simpliste : « dépouiller l’étranger de biens et de droits et le supplanter » ?
Qui peut et doit s’élever contre ces assassins de l’Afrique, sinon nous qui refusons l’arbitraire et la bêtise de ceux qui scient la branche qui les soutient.
Aujourd’hui, la Côte d’ivoire se convulse entre le ceux du nord qui l’ont enfantée et rendue féconde et ceux du sud, qui en ont disposé jusqu’à la démesure, elle se cherche, et son sort est entre les mains des africains responsables qui sauront tenir le langage de la vérité et de la responsabilité à Laurent GBAGBO.
On ne construit pas un pays dans le sang, à coups d’assassinats politiques, par escadrons de la mort interposés, ni à coups d’agitation stérile d’une jeunesse désœuvrée, désormais dévoyée, pour laquelle on a fait passer le crime et la violence pour un mode d’expression aussi légitime qu’un autre.
Dénoncer cela, c’est œuvrer pour l’Afrique, c’est aider la Côte d’Ivoire à préserver ce qui peut encore l’être en ces jours ou l’avenir de ce pays se bouche de plus en plus, dans la fuite en avant de GBAGBO, dont le seul espoir d’échapper au TPI est désormais dans la réussite de ceux qui prêchent l’amnistie pour les anciens Chefs d’Etat africains. Beaucoup de ceux là encouragent GBAGBO en sous main, afin que sont cas fasse jurisprudence. Aux mains de ceux-ci, nul espoir d’arriver à une solution fiable et viable, la plupart ayant refusé de se rendre à Marcoussis, dont la réussite sonnait le glas de leur calculs funestes. Ceux là espèrent encore jeter la Côte d’Ivoire en pâture à leurs troupes sous le prétexte fallacieux d’une force de maintien d’une paix plus hypothétique que jamais.
Ces Etats invoquent le principe du soutient à la légitimité républicaine, au prétexte que le pouvoir de Laurent GBAGBO serait sorti des urnes, lorsqu’on sait les conditions plus que douteuses du scrutin qui l’a vu émerger.
Quelle est donc cette République du crime et du déni de citoyenneté, dans laquelle on est ivoirien non plus par essence, mais par procuration, sur la décision du premier agent de police rencontré au détour d’une rue, si on a le malheur d’être né sous un patronyme « nordiste ».
Sous BEDIE puis sous GBAGBO, on a beau être ivoirien, si on est du Nord, on l’est moins que le copain Ghanéen au patronyme AKAN, que l’on est allé accueillir pour sa première visite à l’aéroport d’Abidjan Port-Bouêt.
Si d’aventure on se fait contrôler, on risque de devoir son salut à son hôte ghanéen qui a eu la bonne idée de s’appeler « KOUASSI » ou « KOFFI », alors qu’on s’appelle tout bêtement « COLIBALY » ou « KONE ».
Nous ne finirons pas cet article sans nous incliner devant la mémoire des astronautes de la navette américaine Columbia, dont la mixité en genre, race et nationalité fut, en soi, une victoire sur les démons de la division et de l’exclusion.
A travers eux, notre hommage s’adresse à tous ceux qui sont tombés sur le front de la conquête de plus de grandeur et de hauteur pour l’humanité.
Puissent ces exemples éclairer les esprits en Côte d’Ivoire et en Afrique.
De Paris
Sidiki Keita
Pour Conakryonline
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