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Le monde diplomatique

NALYSE, 13.04.2003


Pourquoi George Bush a perdu, une Analyse de Robert Habel

Il croit avoir gagné une nouvelle guerre, la deuxième après l’Afghanistan, et il en est très fier. Il est persuadé d’avoir gagné seul contre tous, contre les Français, les Allemands, les Russes, les Chinois, les diplomates de l’ONU, les terroristes d’Al-Qaïda, tous ces pacifistes à la fois bêtes et pitoyables qui ont pullulé ces derniers mois, sur toute la planète… Il se félicite d’avoir choisi une nouvelle fois la force pour renverser le régime de Saddam Hussein et pour le remplacer un beau jour, après une indispensable période d’occupation militaire, par la démocratie de ses rêves: moderne, apaisée, heureuse. Et surtout bienveillante envers Israël, car c’est cela le point clé, comme le lui ont répété ses plus proches conseillers et ses éminents guides spirituels, style Billy Graham.
«Personne ne doit être surpris que les Irakiens, comme tous les peuples, acceptent mal l’oppression et accueillent avec joie leur liberté, a proclamé hier le penseur de la Maison-Blanche, dans son allocution hebdomadaire. La population de tout l’Irak célèbre l’arrivée de la liberté en Irak et l’Amérique la célèbre avec elle.»


Des milliers de victimes irakiennes

Pourquoi ce discours préfabriqué et certifié «politiquement correct» a-t-il tant de peine à passer? Pourquoi ne provoque-t-il en fait, pour dire les choses franchement, qu’un immense sentiment de mépris?

Il y a d’abord le coût de la guerre. Le nombre des victimes et l’infinité des souffrances. Des milliers de jeunes Irakiens, soldats ou miliciens, fils, frères, maris ou pères, impitoyablement massacrés par les B-52 et les F-16 américains, écrasés par les tanks, fauchés par les rafales de mitrailleuses. Des centaines de civils ensuite, hommes, femmes et enfants, tous innocents et tous pulvérisés par des bavures à répétition. Un cortège d’ombres anonymes, des êtres humains qui ne figureront jamais sur aucune liste, comme s’ils n’avaient pas existé. Le président américain n’a jamais parlé d’eux.

Il y a ensuite la guerre elle-même. Son déroulement, sa vérité, son message. George Bush voulait une campagne exemplaire. Il y croyait sans doute dur comme fer, avec toute la foi du croisé. Mais rien ne s’est passé comme prévu: les chiites du Sud ne se sont pas soulevés, les défenses irakiennes ne se sont pas effondrées tout de suite, les envahisseurs n’ont pas été accueillis en libérateurs. Parce qu’ils sont patriotes et parce qu’ils n’ont pas oublié, non plus, la longue et abjecte connivence des dirigeants américains avec leur bourreau de l’époque, un certain Saddam Hussein, les Irakiens sont demeurés prudents. Ils ont attendu le dénouement, ils ont subi comme un viol collectif l’entrée des soldats américains et anglais, ils ont compris surtout qu’ils étaient cyniquement instrumentalisés pour un grand jeu stratégique qui ne les touchait pas et dont ils seraient de toute façon, dès que les choses l’exigeraient, les premiers sacrifiés.

Bush pris entre deux feux

Aujourd’hui les combats se terminent, les pilleurs rentrent chez eux, les télévisions passent et repassent en boucle les précieuses images, sollicitées et trafiquées, que l’opinion et le Gouvernement américains exigeaient à tout prix: les palais d’or et de marbre du méchant dictateur, les GI’s qui distribuent du chocolat aux enfants, les cellules et les salles de torture de l’ancien régime. Il a fallu choisir, fournir sa dose de kitsch.

George Bush a déclenché sa guerre – il a sans doute tué le père, incapable en son temps de foncer sur Bagdad –, mais il est plus isolé que jamais et irrémédiablement pris en tenailles entre des contradictions intenables. Les Irakiens ne veulent pas et ne voudront jamais de sa tutelle, même s’ils seront bien contraints, dans un premier temps plus ou moins long, de s’en accommoder. Quant à ses conseillers les plus proches, des extrémistes pro-israéliens, ils rêvent d’ores et déjà de porter de nouveaux coups au monde arabe, sous le prétexte passe-partout de la guerre contre le terrorisme et pour le bénéfice exclusif de l’actuel Gouvernement d’Israël, fossoyeur des Accords de paix d’Oslo.

Ce pauvre Bush a tout perdu, mais il ne le sait pas encore.

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