OLITIQUE, 11.09.2003
L’opposition unanime pour le départ de Lansana Conté
«Le président de la République avait la ferme intention de se présenter à l’élection présidentielle de décembre 2003, mais voilà, il est malade…». La classe politique guinéenne est unanime sur la question et n’apprécie guère que la fonctionnement des institutions de la république soit bloqué par un seul homme, fut-il président de la République. En effet, Lansana Conté malade semble manifester des signes d’exaspération, à l’idée que la politique en Guinée, ou la vie tout court, devra se poursuivre sans lui. Mais les caprices d’un seul homme n’expliquent pas le flou dans lequel baignent les institutions guinéennes. Le pouvoir qui s’abreuve de clientélisme, évidemment, n’affiche aucune volonté politique sur quoi que ce soit et la gestion du pays se fait à vue. Le président est malade, sa mort prochaine est prédite, alors tout le monde attend. Ce silence est mis à profit par la mouvance présidentielle pour tenter de mettre au point une certaine continuité du régime, après Lansana Conté. L’opposition dans son ensemble a juré de déjouer toutes les machinations des courtisans et autres obligés du pouvoir.Au mois de juin dernier, c’est Alpha Condé du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) qui ouvre le banc en organisant un colloque international sur «Alternative et alternance démocratique: le rôle des partis politiques». Le pouvoir a jugé que cette action était une pure provocation et a procédé à l’expulsion manu militari des invités d’Alpha Condé, ses amis de l’International socialiste. Les militants du RPG arrêtés ont été assez rapidement libérés et le colloque a été annulé de fait. Les tentatives d’action en justice n’ont rien donné et la vie a repris son cours normal à Conakry comme si de rien n’était. Dans la foulée, le pouvoir a lancé l’idée d’une concertation avec l’opposition en vue de rétablir un «dialogue franc» par l’installation d’un comité interministériel le 23 juillet 2003. Deux jours plus tard, le comité tenait sa première réunion à laquelle les leaders de l’opposition ont envoyé de simples représentants. Pour Siradiou Diallo, le président de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR), la démarche du pouvoir n’est que de «la poudre aux yeux».Mais avant tout cela, des actions individuelles ont alimenté le débat dans la classe politique guinéenne. Par exemple, certains militants du RPG, basés en Europe et regroupés en Conseil européen, une frange contestataire au sein du premier parti d’opposition de Guinée, ont pris l’initiative d’envoyer en avril dernier une des leurs, Saran Kourouma en zones rebelles en Côte d’Ivoire «pour apporter un soutien aux compatriotes victimes de la guerre civile ivoirienne» ont-ils précisé. Cette action originale et courageuse a été relayée par quelques médias et a suscité l’intérêt de nombreux partis politiques. Des clins d’œil pour récupérer cette action isolée se sont multipliés mais Saran Kourouma affirme qu’elle «reste malgré tout une militante du RPG». Cette initiative de voyage en Côte d’Ivoire reflète bien l’état de l’opposition en Guinée qui répond davantage à des actions de franc-tireur qu’à des choix politiques bien définis. Le manque de concertation et la suspicion à tous les niveaux font le jeu du pouvoir qui attend que les partis d’opposition se fassent entre eux des croche-pieds.
L’ancien Premier ministre, Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR), tombé dans l’opposition, a pris son bâton de pèlerin pour faire le tour des Guinéens d’Europe et d’Amérique. Il ne croit plus en la sincérité du pouvoir et appelle les siens à la vigilance. «Si on vous trompe une fois, deux fois, la troisième fois il faut que vous soyez un peu plus malin que ça» disait-il à la communauté des Guinéens de New-York, le 24 août dernier. Siradiou Diallo, l’autre poids lourd de l’opposition guinéenne dont le parti, UPR, compte une vingtaine de députés à l’Assemblée nationale, est aussi à l’étranger pour «alerter l’opinion internationale sur la situation catastrophique dans laquelle le pouvoir actuel plonge la Guinée», affirme-t-il. Face à la presse internationale à Paris le 8 septembre, il a dénoncé la gestion calamiteuse du président Lansana Conté qui prive tout le pays d’une fourniture d’électricité et d’eau depuis quelques mois, «pour un pays qui offre à la plupart des grands fleuves ouest-africains leur source», a-t-il précisé.Le patron de l’UPR refuse, par ailleurs, d’aller à l’élection présidentielle si un minimum de conditions ne sont posées et se dit en phase avec la position des autres membres de l’opposition regroupés au sein du Front républicain pour l’alternance démocratique (FRAD). Le 21 août à Conakry, tous ces partis d’opposition se sont réunis pour fixer leurs propositions une vue d’une élection libre et transparente. Ils ont défini des «préalables au dialogue constructif, des thèmes du dialogue et les garanties de la mise en œuvre effective du consensus final». Parmi les exigences figurent le libre accès aux médias publics, l’amnistie générale pour tous les acteurs politiques condamnés, la création d’un organisme indépendant chargé de gérer l’ensemble du processus électoral depuis la révision des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats provisoires. Pour garantir une effective application des résolutions des uns et des autres, les partis d’opposition préconisent la création d’un observatoire national chargé du suivi des décisions issues du dialogue national. Enfin l’opposition guinéenne s’est inscrite d’emblée dans une hypothèse du départ de Lansana Conté en proposant, dans les garanties à valider, la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Mais pour l’instant, le silence du gouvernement embarrasse tout le monde hypothéquant davantage le respect du calendrier électoral en Guinée.
DIDIER SAMSON ( RFI)
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